L'armée romaine sous l'Empire - Le Haut-Empire

L'armée romaine sous l'Empire
2) Le Haut-Empire

1 - La défense de l'Empire

1.1 - Le limes

Les empereurs des deux premiers siècles mènent une série de guerres pour améliorer le tracé des frontières. Les trois grandes frontières terrestres sont le Rhin, le Danube et l'Orient, auxquelles s'ajoutent la Bretagne et l'Afrique. Un plan méthodique de fortifications crée, autour de l'Empire, une ceinture de glacis défensifs : le limes, qui est l'ensemble de la zone frontière qui sépare Rome du monde barbare. Á l'origine, il s'agit d'une ligne de surveillance et d'un dispositif d'alerte, qui a un double but :

Conçu sous une forme très souple, le limes varie selon les lieux et les époques, pour tenir compte à la fois du terrain et de l'ennemi. La frontière sépare symboliquement la civilisation, l'Empire romain, de la barbarie.

Le limes évolue également dans sa conception : au Ier siècle, il est offensif, et est constitué essentiellement par un ensemble de voies de pénétration que relient des rocades. Il commence à se fixer dès les Flaviens, se ferme avec les Antonins et se cristallise au début du IIIème siècle avec les Sévères (193-235)1, sous cette forme rigide de murs continus dont le mur de Rhétie reste le prototype. Pour une longueur totale de 9 000 kilomètres, le limes romain compte cinq secteurs principaux.

- Le limes de Bretagne (110 km) -

Destiné à protéger la province romaine contre les incursions des peuples calédoniens, il est commencé par Agricola et reçoit sa forme définitive sous Hadrien (vallum Hadriani). La ligne comprend trois éléments : un fossé, un retranchement de terre et, en arrière, une ligne de châteaux forts construits en terre et de dimensions diverses. Une voie de rocade, parallèle au front, assure la liaison entre les postes.

Sous Antonin, un second limes du même type est construit plus au nord; Septime Sévère l'abandonne en 207 pour revenir au limes d'Hadrien, dont il remanie et améliore les défenses.

- Le limes rhénan (600 km) - Il se subdivise en deux secteurs différents :

- Le limes danubien (2 700 km) - Il est subdivisé en quatre secteurs :

- Le limes d'Orient (2 000 km) - Il va de la mer Noire à la mer Rouge, avec trois secteurs :

- Le limes d'Afrique - Il qui va de la mer Rouge à l'Atlantique. Il comprend trois secteurs :

1.2 - Les armées


Figure 1 : La répartition militaire par secteur au IIIème siècle

Zone

Effectifs totaux

Nombre de légions

Provinces

Effectif

Rhin

40 000 hommes

4 légions

Germanie supérieure

2

Germanie inférieure

2

Danube

130 000 hommes

12 légions

Rhétie

1

Norique

1

Pannonie supérieure

3

Pannonie inférieure

1

Mésie supérieure

2

Mésie inférieure

2

Dacie

2

Orient

110 000 hommes

10 légions

Cappadoce

2

Mésopotamie (Parthiques)

2

Syrie

3

Palestine

2

Arabie

1

Égypte

11 000 hommes

1 légion

IIa Trajana Fortis à Nicopolis

Afrique

11 000 hommes

1 légion

IIIa Augusta à Lambèse

Bretagne

30 000 hommes

3 légions

Italie

1 légion

IIa Parthica à Albanum

Tarraconaise

1 légion

VIIa Gemina à Legio


Le principe fondamental pour la défense de l'Empire est celui de la couverture : l'armée est disposée en cordon le long des frontières et organisée en armées particulières affectées chacune à la défense d'un secteur déterminé. Il y a ainsi l'armée du Rhin, l'armée du Danube, l'armée d'Orient, l'armée d'Égypte et l'armée d'Afrique.

Parallèlement, on maintient à l'arrière des armées de réserve, d'un effectif inférieur à celui des armées de première ligne; selon le cas, elles sont destinées à renforcer celles-ci ou à assurer la sécurité de l'intérieur. Dans l'organisation militaire d'Auguste, l'Empire compte trois armées de ce genre. L'armée de réserve s'affaiblit de plus en plus pendant les deux premiers siècles, pour ne plus compter que 2 légions, la VII Gemina en Tarraconaise, et la II Parthica, créée par Septime Sévère, stationnée en Italie. Ajoutées à la garnison de Rome, cela représente au maximum 45 000 hommes.

Aux différents secteurs du limes correspondent donc autant d'armées chargées d'en fournir les corps d'occupation et d'en assurer la défense permanente. Les effectifs varient au cours de l'Empire, mais se fixent au début du IIIème siècle.

Les effectifs indiqués dans le tableau sont les effectifs totaux en théorie, incluant les troupes auxiliaires. Chaque armée pourvoit, sous la forme de détachements, à l'occupation permanente des ouvrages de première ligne du limes (tours de garde, châteaux forts, postes de guet). Le gros des troupes se tient en réserve, à l'arrière, dans une série de camps légionnaires permanents, installés soit sur la rive romaine des fleuves, soit à quelque distance de la frontière.

1.3 - Les menaces sur le limes au début du IIIème siècle

La Bretagne : C'est un théâtre d'opérations secondaires, même si l'expeditio britannica (209--211) est l'événement majeur de la fin du règne de Septime-Sévère. Les succès rencontrés par le vieil empereur portent leurs fruits pour de longues années.

Le limes rhéno-danubien : Les premiers symptômes de la poussée germanique y apparaissent. La ligue des Alamans est repoussée par Caracalla en 213. Ils sont de retour 20 ans plus tard, en 234, menaçant les Champs Décumates et la Germanie supérieure. Leurs attaques, conjuguées avec celles des peuples danubiens (Carpes, Quades, Sarmates), contraignent Sévère Alexandre à mettre un terme à la guerre contre les Perses.

L'Orient : Les règnes de Septime-Sévère, Caracalla, Macrin et Sévère-Alexandre (donc de 193 à 235) sont largement occupés par les guerres en Orient, contre les Parthes d'abord, puis contre les Sassanides à partir de 226 :

La frontière africaine : Les Sévères ont porté beaucoup de soin à la consolidation de la frontière africaine de l'Empire. Septime-Sévère en particulier a veillé à contrôler les routes empruntées par les nomades du désert saharien, tant au sud des Aurès (établissement du castellum de Dimmidi), qu'en direction du pays des Garamantes en arrière de la Tripolitaine (construction d'un camp à Bu Njem en 201). En 208 apparaît la nouvelle province de Numidie.

Mais il subsiste, à l'intérieur même du territoire provincial, des poches de dissidence, notamment dans les zones montagneuses du Rif ou des Atlas. En Césarienne éclate en 227 une véritable insurrection des tribus que doit réduire le procurateur Titus Licinius Hierocles.

2 - L'évolution des armées

Le rôle précis dévolu à chacune des armées leur donne déjà un caractère régional. Deux autres faits contribuent à le renforcer encore :

Plutôt que d'«armée» en général, il vaudrait mieux parler d'«armées». De forts particularismes régionaux apparaissent lors de la crise de 193, ou en 238. Les armées répugnent à aller combattre sur un front lointain au moment même où leur province est menacée. C'est l'une des causes de l'échec de l'expédition persique de Alexandre Sévère. À l'inverse, la présence de contingents orientaux dans l'armée du Rhin se révèle source de problèmes.

Il n'y a, sous les Sévères, aucune «barbarisation» de l'armée : les contingents de dédites et de gentiles n'y tiennent qu'une place négligeable. Il n'y a donc pas de risque de collusion avec l'ennemi extérieur.

2.1 - Conséquences économiques et sociales

Près des camps s'installent les canabae, huttes où habitent les marchands et les indigènes qui vivent dans la mouvance de la société militaire. Du camp naît parfois une véritable cité : par exemple Argentoratum (Strasbourg), abandonnée par les troupes au IIème siècle, quand elles partent occuper des positions plus orientales.

Le long de cette zone de défense et de routes se créent des courants d'échange : des marchands venus d'Orient par le Danube apportent leurs produits et leurs techniques : ce sont eux qui introduisent la fabrication du verre en Germanie. Ils apportent aussi parfois leurs cultes : alors que les religions orientales, celle de Mithra par exemple, recrutent peu de fidèles en Gaule, on creuse des mithrées près des camps, on dresse des chapelles au «Jupiter Dolichenus», de la vallée du Danube à celle du Rhin.

L'armée est aussi créatrice d'activités économiques. Elle favorise dans l'arrière-pays immédiat le développement d'un agriculture plus moderne. Elle crée ses propres fabriques : l'industrie céramique de la Gaule, cantonnée en Narbonnaise, puis dans le Massif Central au Ier siècle, se déplace : vers 140 un centre de production actif s'est établi à Rheinzabern, dans l'arrière-pays de la frontière.

2.2 - Les causes de l'impuissance face aux invasions

Il devient clair, à partir du règne de Alexandre Sévère, que Rome n'est pas en état de mener des opérations d'envergure sur deux fronts à la fois. Cette impuissance est due à plusieurs causes :


1

Flaviens : de Vespasien à Domitien (69--96); Antonins : de Nerva à Commode (96--192); Sévères : de Septime Sévère à Sévère Alexandre (193--235).

2

La scène du siège de Ctésiphon est représentée un panneau de l'Arc de Septime-Sévère, sur la face orientée vers le Capitole. Le panneau sur Ctésiphon est divisé en deux registres : le registre inférieur raconte le siège de la ville, au moyen de machines de guerre, tandis que le registre supérieur montre l'adlocutio (discours) de l'empereur à ses troupes, après la prise de la capitale parthique. Instaurant le dialogue avec l'armée, l'adlocutio permet à l'empereur de revendiquer sa qualité de général victorieux (imperator). Au cours de cette adlocutio, Septime-Sévère est proclamé imperator pour la 11ème fois. Il profite également de la victoire pour promouvoir sa politique dynastique : les deux fils de l'empereur figurent à ses côtés sur la tribune, car Caracalla fut proclamé Auguste et Géta César au cours de l'adlocutio du 28 janvier 198. Date de l'avènement de Trajan en 98, le choix de ce jour indique une renaissance (renovatio temporum), l'inauguration d'un nouveau siècle des Antonins.


1 - Organisation / 2 - Le Haut-Empire / 3 - Le 3ème siècle


URL d'origine : http://historama.free.fr


Retour